Face au nouveau grand récit de « l’effondrement » et de la « fin du monde » : quelles critiques et quelles bifurcations possibles ?
D’autres fins du monde sont souhaitables ! Débats entre différents courants de l’écologie.
La séance aura lieu à 18h en salle 13, au 105 boulevard Raspail, 75006 Paris.
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« Quand je serai grand, je veux être vivant ! » crient des milliers de lycéens d’à peine 16 ans qui participent aux grèves scolaires pour le climat depuis l’automne dernier. « Fin du monde, fin du mois : même combat » entend-on marteler dans les marches pour le climat qui rassemblent des centaines de milliers de personnes depuis septembre en France. Il semble évident que quelque chose est en train de se passer au sein du mouvement « écologiste ».
Il faut dire qu’avec les premiers signes annonciateurs du printemps mi-février, la disparition mesurée de 30 % des oiseaux des campagnes en 15 ans, de 80 % des insectes volants en 25 ans (mesuré en Allemagne), et les records de température qui pulvérisent chaque année ceux de l’année précédente, la « crise écologique » n’est plus un horizon lointain mais un enfer déjà bien palpable. Il y a de quoi avoir peur, très peur. « I want you to panic ! » assume d’ailleurs Greta Thunberg, nouvelle figure de la phase actuelle du mouvement, au milieu des milliardaires de Davos.
La panique et le vertige semblent être les principaux ressorts émotionnels des nouvelles mobilisations en cours depuis quelques mois. « À quoi ça sert de travailler pour avoir un emploi si tout est détruit ? » peut-on entendre dans les grèves scolaires lycéennes. Et si la peur et l’urgence se répand dans les corps et les cœurs, il semble que la théorie de l’effondrement fournisse une bonne partie du cadre idéologique du surgissement « écologiste » actuel.
Les livres et les conférences de Pablo Servigne et ses acolytes, fondateurs de la « collapsologie » – définie par eux comme « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus » – sont des best-sellers qui s’arrachent du fin fond des « éco-villages » jusqu’au forum de Davos. Ce qui passait encore, il y a 5 ou 10 ans – sans parler des rapports du Club de Rome en 1972 et des innombrables publications de l’époque – pour une lubie de fanatiques de la décroissance et du quinoa, semble s’imposer comme le paradigme décisif pour penser l’époque contemporaine – comment y vivre, y lutter, que faire et comment. Que ce soit pour des cabinets de consulting et de géo-ingénierie, ou pour des collectifs de désobéissance civile. Bref : la fin du monde est le nouveau hype !
L’imaginaire dominant de la dernière décennie du mouvement écologiste – celui de la « transition » et des « alternatives », porté par le mouvement Colibris, Alternatiba, le film Demain, le réseau « Villes en transition », les innombrables collectifs « transition citoyenne », des personnalités comme Pierre Rabbhi et Cyril Dion – semble laisser la place à la sensation de l’imminence d’une apocalypse écologique, climatique, sociale, économique et politique. Il n’y a plus de « transition douce » possible. L’accent mis sur les « éco-gestes » et le changement individuel et « citoyen » a fait long feu : des pratiques de désobéissance civile – « non-violente » ou pas – se transmettent bien au-delà des cercles activistes les plus déterminés. Des barricades et les cabanes symboles de la Zad de NDDL se sont habillés de jaune fluo pour surgir partout en France, en réaction à une énième arnaque taxant les pauvres au nom d’une mascarade de « transition énergétique »,
La situation, du fin fond de son désespoir, est porteuse de nouvelles radicalités, d’envies d’agir inédites, mais également de nombreux pièges. Car le grand récit de l’effondrement charrie son lot d’impensés et d’impasses : ce sont à ces questionnements qu’il nous faut s’atteler.
⇒ En se basant sur une batterie de mesures, de courbes et d’une appréhension positiviste du fonctionnement du « système-Terre », le grand récit de « l’effondrement » ne reconduit-il pas la terrible séparation homme/environnement, nature/culture ? Ne pérennise-t-il pas une vision en surplomb, extérieure et gestionnaire des processus sociaux et vivants, c’est-à-dire la même pensée moderniste qui a accouché des ravages de l’industrialisme ?
⇒ N’alimente-t-il pas, même inconsciemment, la « stratégie du choc » et du « capitalisme du désastre » si chère à l’extension indéfinie du néolibéralisme, qui prospère d’autant plus là où ce qui « tenait » encore est subitement effondré, où se prépare craintivement à l’être ? Bref : y’a-t-il de la puissance de vie et de construction de long-terme au-delà de la panique générée par la sensation de l’imminence de l’effondrement ?
⇒ Le grand récit de « l’effondrement » n’est-il pas une forme de narcissisme occidental, qui invisibilise toutes les autres formes de vies, de pensées et de lutte qui ont été totalement, ou partiellement, « effondrées » par des siècles de colonisation politique, économique/industrielle ? « L’Effondrement » de la civilisation industrielle avec un grand E nous empêche-t-il de prendre conscience des centaines « d’effondrements » qui ont accompagné la mise en place historique de cette civilisation (esclavagisme, chasse aux sorcières, colonisation, guerres mondiales, etc, etc) ? La « fin du monde » est-elle une nouvelle mode de classes moyennes blanches occidentales déprimées ? Permet-elle de tisser des alliances pertinentes avec les premier-e-s concerné-e-s par les effondrements ?
⇒ N’avons nous pas plutôt besoin de théories et d’imaginaires qui nous permettent de partir de la singularité de là où chacun-e vit ? L’enjeu n’est-il pas précisément de se sortir du rapport au temps désastreux – linéaire, cumulatif, à valoriser à tout prix – charrié par la culture occidentale, pour bifurquer vers d’autres devenirs possibles, situés, singuliers ? La tâche d’un « grand récit politique » – s’il en est besoin -, n’est-elle pas d’apprendre à mieux voir et sentir ce qui justement palpite sous nos pieds, ne s’effondre pas ou pas encore (des liens, des lieux, etc) pour le défendre, le relier, l’étendre ? La sensation de la « fin du monde » ne pourrait-elle pas plutôt attiser, mondialement, une irrépressible « faim de mondes » à faire ?
Mener ce débat, c’est confronter les différents courants actuels du mouvement écologiste dans leurs dynamiques comme leurs limites propres. Pour cela, cinq personnes interviendront – trois personnes impliquées dans le quotidien des luttes et deux journalistes/chercheurs qui les accompagnent avec pugnacité :
Camille, participante active des grèves lycéennes pour le climat et membre du jeune mouvement « désobéissance civile écolo Paris », viendra parler de son rapport à l’effondrement et à l’importance (ou pas?) de ces affects de l’urgence dans le nouveau surgissement actuel de la jeunesse sur la scène écologiste.
Andrea parlera des difficultés de concilier rapport à l’urgence, lutte frontale et construction de long-terme dans le mouvement ZAD/Bure, de la difficulté de tisser des continuités quand les stratégies contre-insurrectionnelles cherchent à multiplier les ruptures traumatiques et saper toute possibilité d’expérience collective.
Marion, participante de longue date au mouvement climatique (Alternatiba/ANV COP-21/Amis de la Terre), viendra nous expliquer comment la rhétorique de l’effondrement suscite des débats internes.
Jade, journaliste spécialisée dans les questions écologiques à Médiapart, nous proposera un panorama des critiques théoriques et pratiques de la théorie de l’effondrement.
Jérôme, historien spécialiste du Chiapas, viendra expliquer la manière dont les zapatistes envisagent leur rapport à la temporalité, à la continuité, aux devenirs et proposera quelques pistes de « temporalités émergentes et futurs inédits » esquissés dans son dernier livre.
Ressources pour préparer la discussion :
Les livres-phares du courant de la « collapsologie »
Pablo Servigne & Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Seuil, 2013)
Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible, Seuil, 2018
Entretien sur Reporterre : https://reporterre.net/Pablo-Servigne-Il-faut-elaborer-une-politique-de-l-effondrement
Vidéo sur Thinkerview : https://www.youtube.com/watch?v=5xziAeW7l6w
Entretien sur France Culture, https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/collapsologie-comment-vivre-avec-la-fin-du-monde
De multiples vidéos de conférences, interventions radios et articles sont disponibles sur internet.
Au coeur des débats dans le mouvement écologiste
« Contre l’effondrement : agir pour des milieux vivaces », Bénédicte Zitouni & François Thoreau, https://lundi.am/Un-recit-hegemonique, décembre 2018.
« Contre l’effondrement, pour une pensée radicale des mondes possibles », juillet 2018, Elizabeth Lagasse, Revue Contretemps https://www.contretemps.eu/effondrement-mondes-possibles/
« La ZAD et le colibri : deux écologies irréconciliables ? » Maxime Chédin https://lundi.am/La-ZAD-et-le-Colibri-deux-ecologies-irreconciliables, novembre 2018. Une critique – notamment – du « Petit manuel de résistance contemporaine » de Cyril Dion, fondateur des Colibris
La réponse de Cyril Dion : « Résister, mais comment ? », janvier 2019, Revue Terrestres numéro 2 https://www.terrestres.org/2019/01/16/resister-mais-comment/
Sur le nouveau mouvement Extinction Rebellion : https://reporterre.net/Contre-l-effondrement-Extinction-Rebellion-prone-la-desobeissance-civile
Sur quelques autres rapports au temps et aux devenirs possibles
Jérôme Baschet, Défaire la tyrannie du présent : temporalités émergentes et futurs inédits, 2018,
Sur le « jeune » mouvement écologiste qui surgit
Toutes les « leçons au gouvernement des « Camille » de la grève de la jeunesse pour le climat sur Reporterre :
2ème : https://reporterre.net/2e-lecon-des-jeunes-au-gouvernement-il-faut-la-decroissance-energetique
3ème : https://reporterre.net/3e-lecon-des-jeunes-au-gouvernement-lancons-la-transition-alimentaire
4ème : https://reporterre.net/4e-lecon-des-jeunes-au-gouvernement-la-lutte-pour-l-ecologie-sera-feministe-ou-ne-sera-pas
5ème : https://reporterre.net/5e-lecon-des-jeunes-au-gouvernement-sortons-du-capitalisme